À propos de la proposition de nationalisation des langues et cultures de France par le Forom des Langues du Monde de Toulouse

À propos de la proposition de nationalisation des
langues et cultures de France par le Forom des Langues du Monde de Toulouse

Il faudrait que tout le monde prenne conscience de l’importance historique qu’a l’amendement voté par l’Assemblée Nationale le 22 mai dernier à l’article 1 de la constitution, déclarant au sujet de la République française, que : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ». Incluant ainsi ces langues dans à la fois l’histoire de France et l’histoire de la langue française, que François 1er en 1539 à Villers-Cotterêts avait déclarée – c’était contre le latin, à l’époque – seule langue de France, langue officielle des arrêtés officiels.

Mais la réalité historique et géographique de la France était celle d’une pluralité de langues. L’abbé Grégoire en 1790, pour diffuser les idées révolutionnaires, la révolution partant de Paris, voulait éliminer les patois comme refuges de la féodalité et de la royauté. Encore à la fin du XIXe siècle la République luttait pour imposer le français langue nationale. Car il y avait huit ou neuf langues populaires. Encore en1914-1918, selon les régions, peu connaissaient la langue nationale. Les Bretons ont eu plus de morts que la moyenne nationale à la guerre, parce que peu savaient le français.

Ce rappel n’est pas tourné vers le passé, il est tourné vers le présent et l’avenir, c’est pourquoi j’ai tenu à le faire. Ce n’est pas pour rien que, Parisien de naissance, je participe depuis plus de dix ans au Forum des Langues de Toulouse, créé par Claude Sicre. Parce que j’y ai appris des choses, au cours de ces débats et de ces rencontres. Je ne peux pas oublier un enseignant breton qui souffrait encore de la guerre des chouans et qui souhaitait qu’au plus haut niveau de l’Etat il y ait une déclaration pacificatrice comme Chirac avait fait pour Vichy et les Juifs. Elle n’a toujours pas été faite. L’histoire du passé n’est pas passée, il y en a encore, je l’ai vu de mes oreilles, qui souffrent le jour anniversaire de la saint Barthélemy.

Claude Sicre a raison d’attirer l’attention de la Ministre de la Culture (dépêchons-nous, pendant qu’il y a encore dans ce pays un Ministère de la Culture) sur le danger d’une interprétation régionaliste de cet amendement, qui refermerait, à contre-France, chaque région sur sa langue, supposant que sa langue n’intéresserait qu’elle-même.

Et Claude Sicre se bat pour qu’au contraire on comprenne que toutes ces langues de France sont nationales. Parce que leur histoire, et l’histoire de la culture française, est une histoire d’échanges, d’interaction. Parce que chaque langue est un langue-culture. Pas un instrument de communication.

La vraie reconnaissance que toutes les langues de France « appartiennent à son patrimoine » serait en effet, comme le Forum des Langues de Toulouse le propose, que partout en France on transforme l’enseignement de la culture française en y faisant entrer des initiations à ces langues-cultures, du breton à Strasbourg comme de l’alsacien à Rennes, de l’occitan à Lille comme du picard à Toulouse.

Alors vraiment on accèderait à une véritable histoire et à un véritable avenir, en reconnaissant mieux notre géographie culturelle.

Autant que j’en ai l’expérience, en tant qu’universitaire invité à peu près partout en France, j’ai pu me rendre compte qu’un des clichés culturels les plus tenaces, les plus anciens et les plus nocifs, c’est l’opposition entre Paris et la province. Beaucoup encore y croient, à cette stupidité. C’est un symptôme, à mes yeux, de ce que justement Claude Sicre dénonce comme du centralisme. Je dirais du provincialisme parisien.

L’enseignement de la pluralité des langues-cultures de France soignerait ce mal. Sans oublier que le gain serait double : pour la vie de ces langues (un thème à la mode est de pleurnicher sur la mort des langues, au moins ainsi on travaillerait pour qu’elles vivent), et pour le sens historique d’une solidarité.

Sans oublier, étant donné l’histoire des immigrations, en France, depuis des siècles, les langues non territorialisées.

Alors, comme le dit la « proposition de nationalisation des langues-cultures de France » oui, il y aurait, par l’apprentissage que l’unité est une pluralité interne, « plus de démocratie et plus de république ».

Tout cela montre aussi l’importance majeure de l’enseignement dans la vie politique, dans l’éthique du politique.

Henri Meschonnic
Texte demandé par Libération – Madame de Valleys – non paru (mai 2001)

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Introduction d’Henri Meschonnic

Le préambule de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1789 tenait à rappeler « à tous les membres du corps social (…) sans cesse leurs droits et leurs devoirs ». À voir le monde aujourd’hui, il n’y a rien de changé, sinon que, comme le disait ce préambule, « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme » se sont beaucoup aggravés. Mauvais état général des sociétés.
D’où l’urgence d’inventer un rapport entre l’éthique et la politique qui est encore une utopie. Le paradoxe du langage est que c’est par lui, par lui seul que peut passer ce rapport. Or c’est le lieu d’une méconnaissance maximale. Et par le langage, j’entends la fonction d’expression de la pensée, et une langue est un système social de signes. Les implications ne sont pas les mêmes.
Défendre le langage ? Mais il n’est pas attaqué. C’est pire : il est méconnu sans même qu’on le sache. Mais comment ? Avec tant d’études et de savoir. Justement, c’est ce qui est paradoxal, tout ce savoir ne sait pas qu’il produit de l’ignorance, une ignorance spécifique, et il empêche de la savoir. Question de point de vue. Il y a un point aveugle dans le statut du langage, et ce point est vital. En quoi ce n’est pas le langage qui est menacé, c’est chacun de nous.

Parce que c’est d’abord et toujours avec les mots qu’on agit, qu’on fait mal, et la question de la défense des langues n’est que l’aspect ostensible d’une ignorance, d’un oubli et d’un mépris qu’on ne mesure pas, qu’on ne connaît pas, parce que toute notre culture humaniste n’a pas appris à les reconnaître.
C’est que le langage n’est pas seulement le lieu et la matière de la communication, il est avant cela même, et pour cela, le lieu et la matière de la constitution de chaque être humain dans son histoire. Le langage est donc indissociablement matière éthique et matière politique. Et matière épique au sens où s’y constituent les aventures de la voix humaine.
C’est en tant que matière éthique qu’il est matière artistique. Parce que c’est en lui que nous inventons, où l’art, tous les arts, jouent un rôle fondateur. Et méconnu. Le problème de la défense des langues déborde donc infiniment ce qui est mis en avant, et isolé, comme si c’était isolable, c’est-à-dire la question du droit, et la question des langues.
Au lieu de mettre en avant de manière simpliste, parce qu’elle semble crever les yeux, l’hégémonie économique et politique d’une langue sur les autres, il devrait s’imposer que le problème majeur, d’autant plus vital qu’il est méconnu, pour défendre les langues, est l’incommensurable ignorance de la pensée du langage, qui n’est enseignée nulle part, et qui s’étale dans le réductionnisme et la régionalisation qui marquent le traitement du langage dans notre culture. Dans toutes les cultures.
En ce sens, c’est tout un procès de civilisation, et même une sorte de révolution culturelle qu’il y aurait à penser, à réaliser, pour penser et pratiquer des rapports entre langue et culture, entre langue et littérature, entre langage, art, éthique et politique, qui ne sont ni pensés ni pratiqués. Étant donné ce qui est en jeu dans le langage d’histoires individuelles et collectives, on peut dire qu’il n’y a rien de plus profond et de plus vital pour les sociétés, et pour la civilisation, que le sens du langage.
Ce sens est à lui seul le préambule d’une déclaration universelle des droits du langage. C’est-à-dire des devoirs de l’enseignement des langues, de l’enseignement des rapports entre langage et société, de l’enseignement des littératures, de l’enseignement de l’éthique et de l’enseignement de la philosophie politique, tous ces enseignements dans leur interaction.

À en juger par l’état actuel des sciences sociales dans le monde, des sciences du langage, et des disciplines universitaires dans leur régionalisation, sans oublier les enseignements primaire et secondaire, il s’agit là d’un programme onirique ? C’est pourtant la situation actuelle qui est un mauvais rêve. De plus, il y a une urgence. Il va y avoir, au printemps 2004, un Forum international des langues et des cultures à Barcelone. Ce sera une rencontre mondiale de la plus grande importance. Elle a toutes chances de reconduire la Déclaration universelle des droits linguistiques issue de la Conférence mondiale des droits linguistiques tenue à Barcelone en 1996.
Or cette Déclaration est exclusivement juridique. Elle ne connaît que les notions de langue et de groupe linguistique. Ces notions courantes sont légitimes, mais tout à fait insuffisantes, par leur carence de toute conception générale du langage, sans la moindre mention de son enseignement, qu’on devrait rendre partout obligatoire. D’où une grande pauvreté de la notion même de la langue, réduite à la communication.
Le complément indispensable à ce juridisme doit donc être une pensée d’ensemble des liens entre le langage, l’art, l’éthique et la pensée de la politique. Cela ne pourrait que renforcer l’efficacité et le sens des revendications.
Il semble alors que le rôle urgent et spécifique des Forums des langues du monde qui se sont répandus en France à partir du Forum des langues de Toulouse depuis 1992, devrait être de combler cette carence de la pensée, et d’apporter une réflexion d’ensemble qui pourrait caractériser une contribution française, et qui constituerait dans l’idée forte qu’on ne défend pas les langues sans une pensée d’ensemble du langage et de la société.

Henri Meschonnic

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