Adresse aux aventuriers d’aujourd’hui

Adresse aux aventuriers d’aujourd’hui

Il y a, depuis 1789, une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (a)  qui joue un rôle d’importance, à travers le monde entier, comme arme éthique, intellectuelle et juridique dans les combats contre violences et injustices.

Il y aura, au XXIe  siècle, une Déclaration Universelle des Droit envers les Langues et les Cultures.

Pourquoi ?

– Parce que la prolifération, sur toute la planète, des luttes ethniques (tribales, régionales, nationales) montre bien qu’il faut que la communauté internationale se dote d’une arme juridique pour les contenir, sinon les éradiquer ;

– Parce que ces luttes, qui empoisonnent les rapports entre les hommes dans le monde entier, sont la conséquence de la négation, plus ou moins violente selon les régions, d’identités collectives constituées par des langues, et des cultures au sens fort (comprenant les religions) ;

– Parce que ce qui fait la force de la Déclaration des Droits de l’Homme, à savoir qu’elle ne considère que des individus pris isolément de leurs diverses appartenances (ethniques, linguistiques, sociales, religieuses) pour les traiter à égalité sur le plan de l’éthique et du droit, est aussi ce qui fait sa faiblesse : elle ne peut pas agir sur les droits collectifs ;

– Parce qu’au-delà des problèmes économicopolitiques, auxquels les ramènent à la fois la vulgate marxiste et la vulgate libérale, on voit bien que la question des identités traverse les siècles, les modes de vie, les bouleversements géopolitiques, les changements économiques. Et que ni le citoyennisme mondial, ni l’antimondialisme économiciste, ni le tiers-mondisme, toutes attitudes issues de la condescendance occidentale (ignorante de la réalité culturelle profonde de ces régions du monde « où on se bat encore pour des idées religieuses ou des affaires de traditions locales ») toutes idéologies issues de notre universalisme abstrait, ne pourront régler ces problèmes. D’autant que nous les connaissons nous-mêmes, bien qu’à une autre échelle (Irlande, Pays Basque, Corse, Kosovo, etc.) (b) ;

Seule une Déclaration Universelle des Droits envers les Langues et les Cultures qui :

– organiserait un débat planétaire où toutes les communautés linguistico-culturelles du monde seraient convoquées, afin que toutes les questions soient passées au crible de chaque culture (chaque religion, chaque tradition…) ;

– de ce fait, ne réduirait pas la question au strict problème des langues, et, qui pis est, aux langues comme outils de communication, mais envisagerait le problème du langage lui-même, et de son rapport avec la pensée, et donc avec les pensées des différentes civilisations (c) ;

Seule une telle déclaration pourra venir compléter la Déclaration des Droits de l’Homme.

Viendra.

C’est à vivre cette aventure que nous convions tous les pionniers de la pensée et de l’action d’aujourd’hui.

Loin de toutes les idéologies pleines de réponses déjà élaborées, loin de tous les utopismes et de leurs systèmes clos, se tenant à l’écart de tous les pseudo « porte-parole » des peuples (que les peuples parlent eux-mêmes !), à l’opposé de la mystique « altermondialiste » (en disant qu’ « un autre monde est possible » elle accepte implicitement l’idée qu’un monde UN existe déjà, ce qui nie la pluralité bien réelle d’aujourd’hui, et elle nous propose un autre monde un pour demain, alors que ce que veulent les peuples, ce sont la reconnaissance de tous leurs mondes déjà existants), cette aventure exige que les valeurs universelles soient inventées à l’intérieur de chaque culture, chacune en confrontation avec toutes les autres.

Un formidable voyage, qui sera toujours à approfondir, dans l’imagination humaine sous toutes ses formes, ses rêves, ses réalisations. La plus grande entreprise à la fois intellectuelle, éthique et politique qui puisse se concevoir.

Où chaque être humain a son rôle.

Forom des langues du Monde de Toulouse mai 2000

Claude Sicre

  1. Fortement inspirée par la Déclaration nord-américaine de 1776, ce qu’on a tendance à oublier en France.
  2. Il n’est pas indifférent de noter que, pour ce qui concerne la France, notre mouvement d’idée a été un des moteurs de l’inscription des langues minoritaires (langues étrangères sans statut dans leur pays d’origine : berbère, yiddish, romani, arménien, arabe dialectal) comme « langues de France » dans le projet de signature de la Charte Européenne, qu’il a été et est toujours le seul à promouvoir, contre les idéologies régionalistes ou nationalistes, l’idée que les langues indigènes de France, à ne séparer d’aucune manière de leurs cultures, doivent être NATIONALISÉES (partant de notre conception que tous les Français doivent être enseignés quant aux troubadours occitans – sans l’étude desquels on ne peut rien comprendre à la poésie française – à l’histoire de la Corse – sans l’étude de laquelle on ne comprend rien à Napoléon et à l’organisation de l’État depuis le début du XIXe siècle – à l’histoire de l’Alsace – sans l’étude de laquelle on ne peut comprendre deux guerres mondiales – etc., etc.) pour construire une France radicalement démocratique, radicalement républicaine et radicalement plurielle.

 Note postérieure au texte :  c’est Henri Meschonnic qui, au Forom des Langues de 2001 puis les années suivantes, a lancé cette idée de Déclaration des Devoirs (et non des Droits) et qui a mené cette critique face à la Déclaration des Droits Linguistiques, issue de la Conférence Mondiale des droits linguistiques tenue à Barcelone en 1996. C’est après la Proposition de 2006 d’Henri Meschonnic où il introduit la notion de Devoirs que nous nous somme rangés à son avis pour ce terme.

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« Un forum de la pensée du langage », Henri Meschonnic, La Dépêche du Midi, 18 mai 2001

« Un forum de la pensée du langage », Henri Meschonnic,  La Dépêche du Midi, 18 mai 2001 

Je ne vais pas jouer au politique. Je ne suis pas plus un politique que je ne suis un théologien. Ce qui est parfois la même chose. Mais il y a un devoir de la pensée. Un devoir d’intervention. Il est vrai que, au moins c’est ce que le vocabulaire a intégré avec Zola, c’est le rôle des intellectuels. Bien que ce rôle ait existé, même avant le mot, bien avant Zola. Symboliquement, le premier peut-être à le représenter, c’est Socrate. Qui se disait philologos. Ce qui ne voulait pas dire « philologue », mais discutailleur. Inventeur emblématique de la critique. De la pensée comme critique. C’est-à-dire de la pensée comme exercice de la liberté. Toutes les deux : la même. L’empêcheur de penser en rond, de dormir en parlant, comme on fait quand on confond la pensée et le maintien de l’ordre. Et les choses du langage sont un observatoire superbe pour voir notre monde comme celui de la belle au bois dormant : tous ces professionnels de la pensée, et ceux qui leur font confiance, immobilisés dans des idées arrêtées. L’expression dit bien l’instantané qui dure, et qui les fixe dans la pose des idées reçues. C’est tout de suite la mondanité qui vient : la réception pour les réceptions, ce qui répond à l’horizon d’attente. Les fours de la pensée se prêtent aux petits fours. Par exemple, quand on sépare la pratique et la théorie. Ou quand on oppose identité et altérité. Ou quand on croit que les langues, c’est la langue. Ou quand on croit qu’un poème, ou qu’on fait un poème, quand on ne parle que du signe – j’ajoute, maintenant, toujours « ainsi soit-il ». C’est à dire quand on fait du langage, cette chose si merveilleusement vivante, du cadavre. De la forme d’un côté. Du sens, de l’autre. Comme l’âme d’un côté, le corps de l’autre. Oui, on ne sait pas à quel point on ne sait pas ce qu’on dit quand on parle des langues, et du langage. De la traduction, par exemple. C’est fou ce qu’on s’amuse. Et c’est pour la santé : ne dit-on pas qu’il faut soigner son langage ? Alors ce forum, depuis j’ai déjà oublié combien d’années, est un lieu où tout à coup, à un certain moment de l’année, fabuleusement, des troubadours viennent réveiller ces poses d’endormis, ces bouches pâteuses de mâcher des idées vieilles, vieilles, si vieilles qu’il faut les porter tant elles ne sont plus porteuses, vives. Oui, alors c’est un beau spectacle, une fois par an, la place du Capitole. Ça vaut le détour. D’ailleurs, à force, je crois qu’on s’en est aperçu. En haut lieu. Cette année particulièrement. C’est une surprise. Moi j’y viens parce que c’est pour moi une question de rythme. C’est le rythme que je travaille. Pour penser et repenser tout du langage. Et des langues. Pour apprendre le rythme du rire qui secoue la pensée. Parce qu’il y a un comique de la pensée. A découvrir. Ça fait partie des bonheurs de la pensée. De quoi renouveler l’air qu’on respire. On étouffe ici. Cette année, ce sera une grande déclaration. Une déclaration d’amour, bien sûr. Au langage. Et aux langues. Quoique. Il y aura à reconnaître qui est qui, et quoi est quoi, et ne pas donner à la langue – qui ne dit rien, elle, on la ventriloque – ce qui vient de ceux qui s’inventent. Dans la parole. Vous et moi. Mais pour connaître la suite, il faudra venir, le 20 mai, place du Capitole.
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