« Un forum de la pensée du langage », Henri Meschonnic, La Dépêche du Midi, 18 mai 2001

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« Un forum de la pensée du langage », Henri Meschonnic,  La Dépêche du Midi, 18 mai 2001 

Je ne vais pas jouer au politique. Je ne suis pas plus un politique que je ne suis un théologien. Ce qui est parfois la même chose. Mais il y a un devoir de la pensée. Un devoir d’intervention. Il est vrai que, au moins c’est ce que le vocabulaire a intégré avec Zola, c’est le rôle des intellectuels. Bien que ce rôle ait existé, même avant le mot, bien avant Zola. Symboliquement, le premier peut-être à le représenter, c’est Socrate. Qui se disait philologos. Ce qui ne voulait pas dire « philologue », mais discutailleur. Inventeur emblématique de la critique. De la pensée comme critique. C’est-à-dire de la pensée comme exercice de la liberté. Toutes les deux : la même. L’empêcheur de penser en rond, de dormir en parlant, comme on fait quand on confond la pensée et le maintien de l’ordre. Et les choses du langage sont un observatoire superbe pour voir notre monde comme celui de la belle au bois dormant : tous ces professionnels de la pensée, et ceux qui leur font confiance, immobilisés dans des idées arrêtées. L’expression dit bien l’instantané qui dure, et qui les fixe dans la pose des idées reçues. C’est tout de suite la mondanité qui vient : la réception pour les réceptions, ce qui répond à l’horizon d’attente. Les fours de la pensée se prêtent aux petits fours. Par exemple, quand on sépare la pratique et la théorie. Ou quand on oppose identité et altérité. Ou quand on croit que les langues, c’est la langue. Ou quand on croit qu’un poème, ou qu’on fait un poème, quand on ne parle que du signe – j’ajoute, maintenant, toujours « ainsi soit-il ». C’est à dire quand on fait du langage, cette chose si merveilleusement vivante, du cadavre. De la forme d’un côté. Du sens, de l’autre. Comme l’âme d’un côté, le corps de l’autre. Oui, on ne sait pas à quel point on ne sait pas ce qu’on dit quand on parle des langues, et du langage. De la traduction, par exemple. C’est fou ce qu’on s’amuse. Et c’est pour la santé : ne dit-on pas qu’il faut soigner son langage ? Alors ce forum, depuis j’ai déjà oublié combien d’années, est un lieu où tout à coup, à un certain moment de l’année, fabuleusement, des troubadours viennent réveiller ces poses d’endormis, ces bouches pâteuses de mâcher des idées vieilles, vieilles, si vieilles qu’il faut les porter tant elles ne sont plus porteuses, vives. Oui, alors c’est un beau spectacle, une fois par an, la place du Capitole. Ça vaut le détour. D’ailleurs, à force, je crois qu’on s’en est aperçu. En haut lieu. Cette année particulièrement. C’est une surprise. Moi j’y viens parce que c’est pour moi une question de rythme. C’est le rythme que je travaille. Pour penser et repenser tout du langage. Et des langues. Pour apprendre le rythme du rire qui secoue la pensée. Parce qu’il y a un comique de la pensée. A découvrir. Ça fait partie des bonheurs de la pensée. De quoi renouveler l’air qu’on respire. On étouffe ici. Cette année, ce sera une grande déclaration. Une déclaration d’amour, bien sûr. Au langage. Et aux langues. Quoique. Il y aura à reconnaître qui est qui, et quoi est quoi, et ne pas donner à la langue – qui ne dit rien, elle, on la ventriloque – ce qui vient de ceux qui s’inventent. Dans la parole. Vous et moi. Mais pour connaître la suite, il faudra venir, le 20 mai, place du Capitole.

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